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chronique
Féminisme et relations de genre, Réflexions intimistes

Micheline

Je ne vous connais pas. Pas plus, en tout cas, que ce que permet la présence publique. Vous ne me connaissez pas non plus. Peut-être avez-vous lu les textes que j’ai consacrés à Pour l’amour de Dieu. Peut-être pas. Je n’envoie pas mes textes par courrier recommandé. Je laisse les réseaux et les vases communicants faire leur travail. Ils demandent de la patience, mais ils permettent parfois aux dialogues d’être plus naturels.

La première fois que je vous ai vue à la télévision, c’était dans Jamais deux sans toi, deuxième mouture. J’étais enfant. J’avais 10 ans environ. J’étais fascinée par votre voix. Je ne dirais pas que je vous aimais. Faut dire que votre personnage n’était pas des plus aimables. Et à cet âge, je préférais les personnages féminins qui épousaient les clichés dont je m’étais nourrie depuis Barbie. Je ne peux pas dire que je vous aimais, mais j’ai enregistré votre voix et je ne l’ai plus oubliée.

Je ne sais plus à quel moment j’ai commencé à vous aimer. C’est difficile à dire. Vous êtes de ces figures (et de ces voix) qui reviennent sans cesse, constantes, mais pas toujours dans ces grands moments d’éclat et de strass qui marquent le show-business.

Je ne sais plus donc, à quel moment j’ai commencé à vous aimer. C’est un sentiment qui a grandi lentement, un bourgeon devenu une évidence. C’est une question de valeurs, d’abord. De sensibilité artistique, bien sûr. D’intégrité. Et aussi une question de façon d’être au monde. Un jour, par conviction, l’enfant a vomi les modèles desquels elle s’était nourrie. Des modèles nocifs qui emprisonnent les femmes dans des possibilités restreintes, qui les confinent à des archétypes. Et la femme qui est née de cette cure vomitive s’est mise à aimer tendrement des femmes de toutes les générations qui se sont tenues debout pour la conviction et par la conviction qu’être une femme, ça ne se fait pas comme on monte un modèle réduit avec des ciseaux et un peu de colle. Être une femme (comme être un homme d’ailleurs), c’est savoir se trouver, se reconnaître, se positionner par rapport aux attentes des autres et aux nôtres. S’émanciper exige de reconnaître qu’il y a des modèles et de s’interroger sur la façon dont nous les aborderons. C’est surtout un parcours intérieur, une voie qui se pave de certaines certitudes, mais surtout de rencontres (positives ou non) et de doutes plantés là comme des écueils.

Je pense à vous beaucoup ces jours-ci parce que je suis époustouflée par votre interprétation dans Unité 9. Bien sûr, vous avez une équipe, des textes, une réalisation. Si toutes les comédiennes sont si convaincantes, c’est qu’il y a là un travail d’équipe. Pourtant, il y a dans votre interprétation une épaisseur qui me chavire. Tout passe dans vos yeux. La subtilité de ce qui se joue dans votre regard ne peut pas juste s’expliquer par un bon texte, une bonne prise de vue. Il y a dans cette interprétation l’empreinte de votre expérience, de votre intégrité, de votre sensibilité.

Parfois je me dis que c’est juste trop. Si ce n’était de cette voix si distinctive, j’en oublierais que je vous ai connue ailleurs, dans d’autres circonstances et dans d’autres rôles.

J’ai eu la chance, une fois, de dire à Clémence Desrochers jusqu’à quel point je l’admire et jusqu’à quel point je lui dois beaucoup. Je lui dois beaucoup comme individu, comme créatrice, mais aussi comme femme de ma génération qui peut encore aujourd’hui se dire féministe et militer contre l’aplatventrisme qui voudrait nous faire accepter des descriptions standardisées de nos rôles sous prétexte d’habitude et de commodité.

Comme je ne sais pas quand et dans quel contexte j’aurai la chance de vous le dire, je voudrais profiter de ma petite tribune pour vous remercier aussi. D’être une créatrice aussi complète, aussi polyvalente. D’avoir les idées claires et d’accepter de faire une place aux ambivalences et aux fragilités. D’être dans l’espoir aussi. D’être cette femme magnifique, assumée, intègre.

J’aimerais vous remercier parce que sans femme, sans idéatrice et sans créatrice comme vous, je ne serais pas là. Pas seulement à cause de ces mythiques chemins que vous avez ouverts. Aussi, et simplement, parce qu’il faut des gens hors de l’ordinaire pour, chaque jour, nous redonner envie de le devenir.

Discussion

Une réflexion sur “Micheline

  1. Je partage votre admiration pour Micheline Lantôt. Ce qui me touche et m’inspire chez elle est le fait qu’elle semble être une femme et une artiste libérée du désir de plaire. Elle ne semble pas motivée par le besoin d’exister à travers le regard des autres, et je trouve que c’est précisément ce qui la rend unique. Nous avons terriblement besoin de ce genre de modèle de femme artiste dans la culture en général, et dans la culture populaire en particulier.

    Bon essayons de faire un peu comme elle asteure…

    Publié par Marie-Pierre Duval | 9 novembre 2012, 15 h 28 min

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