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chronique
Féminisme et relations de genre, Société

Impressions haïtiennes: Les hanches des Haïtiennes

Cinq jours en Haïti. On ne fera pas semblant de faire de la sociologie. Mais j’ai vu trop de choses, été touchée par trop de phénomènes, pour ne rien en dire. Voici donc le premier d’une série de texte sur des impressions. Des impressions qui ouvrent sur quelques hypothèses, à peine la tête d’épingle d’une réflexion.

Il faut dire que j’ai mal au bas ventre depuis tellement de semaines, c’est peut-être ce qui explique que ce soit la première chose qui m’ait sauté aux yeux. Il m’a tout de suite semblé que si j’avais leur démarche, mon mal de ventre disparaîtrait. La grande majorité des Haïtiennes, âges et classes sociales confondues, ont une posture qui me semble à des milles de ce que j’ai vu chez la majorité des Occidentales.

Pour faire simple, je dirais qu’elles ont les hanches ouvertes. Mais à bien les observer, c’est plus que ça. Elles sont profondément enracinées, mais cambrées. En plus des hanches, les épaules et les trapèzes sont projetés vers l’arrière, posant le buste dans une dégaine qui laisserait croire qu’ici il n’y a pas de problème avec le corps.

Ce serait difficile à croire. Difficile d’abord parce que la marque d’eau Crystal offre le flanc d’une femme blanche et mince sur sa bouteille et quand j’en ai parlé aux étudiants, ça les a fait beaucoup rire. Difficile aussi parce que les routes sont placardées d’annonces beauté et de salons esthétiques (rallonges de cheveux et autres). Il doit bien y avoir une préoccupation pour le corps. Mais je doute, en tout cas, que l’idée de cacher son ventre ait la même hégémonie que chez nous. (Le fait qu’on m’arrête partout, homme comme femme, pour me répéter jusqu’à quel point je suis jolie confirme que l’obsession de la minceur ne s’est pas complètement rendue ici. Mais peut-être que l’obsession de la blancheur…)

J’ai vu des jeunes filles de quatorze ans environ se pointer au micro avec leur posture de guerrière et venir poser des questions en toute confiance, parfois naïves mais sans gêne. J’ai pensé que la même scène au Québec m’aurait souvent donné à voir une jeune fille un peu tassée sur elle-même, peut-être cachée derrière une frange de cheveux, sans doute hésitante. S’il y a une confiance étonnante de la prise de parole en Haïti, il semble à première vue que cette confiance soit aussi chez les jeunes filles des écoles.

J’aurais pu avoir une réflexion semblable, cette fois au dernier moment de mon séjour, quand j’ai vu sur scène un groupe de musique vaudou formé de près d’une dizaine de femmes: chantant, jouant, dansant. Endiablées, magnifiques. J’aurais pu parce qu’entre temps, j’avais croisé l’autre côté de la médaille qui laisse croire, comme on s’en doutait bien sûr, que nous ne sommes pas au paradis de la confiance féminine.

Ce n’est pas la première fois que je voyage et, aux premiers abords, il m’a semblé que les Haïtiens interpellent moins les femmes du Nord à tout bout de champ comme j’ai pu le vivre au Honduras, aux Bahamas ou en Tunisie. Mais notre séjour nous traînait dans des milieux assez éduqués et prêts à nous accueillir. Hier, traversant des quartiers populaires, j’ai croisé de jeunes garçons (parfois des enfants) nous accueillant à coup de baisers juteux et d’invitations disgracieuses, comportement qu’ils ont dû apprendre quelque part. Comportement qui semblait, aussi, s’inscrire dans un arsenal de réponses à ce qu’ils perçoivent comme notre condescendance. (Sur ça, on ne peut pas les blâmer.)

Mais même dans les milieux éduqués que nous avons fréquentés, j’ai eu droit, publiquement, à la panoplie de blagues d’usage sur les hommes (jeunes ou vieux) haïtiens particulièrement émoustillés par mon passage. Blagues, évidemment, que nous n’avons jamais servies à nos collègues masculins. Est-ce parce que l’on présume que les femmes haïtiennes ne sont pas troublées par la présence des visiteurs québécois? J’ai plutôt tendance à croire que c’est parce qu’il n’y a aucun plaisir à faire rougir un collègue mâle et, au contraire, aucune gêne à poser la sexualité éventuelle d’une femme comme enjeu public au détriment des raisons qui l’amènent ici (dans le cas qui nous occupe, le fait d’être une auteure ou une professionnelle du livre).

Est-ce dire que le corps des femmes, qu’il soit prostré comme une Québécoise ou confiant comme une Haïtienne, ainsi que le désir qu’il peut provoquer, demeure un enjeu de discussion publique possible?

Certains propos entendus à la table ronde sur le féminisme auquel j’ai participé confirment un peu cette hypothèse. J’y reviendrai jeudi.

Discussion

2 réflexions sur “Impressions haïtiennes: Les hanches des Haïtiennes

  1. Encore une fois, je ne peux m’empêcher de commenter. Il faut sortir dans les clubs et voir les haïtiennes danser comme si elles faisaient l’amour les vêtements en plus, mais les seins à moitié à l’air, pour comprendre qu’effectivement, elles sont à l’aise avec leur corps. Mais à mon avis, ce n’est pas le signe d’une grande confiance en soi. Au contraire. Le corps est un objet. Mon expérience est que les haïtiennes, face à des québécoises qui s’expriment et osent contredire, sont mal-à-l’aise. C’est pas toujours vrai et je suis consciente de faire des commentaires qui généralisent beaucoup. Je pense aussi qu’il y a des différences énormes de comportement selon les classes sociales. Mais je souhaite surtout contribuer à la conversation, parce que ce sont des questions dont j’ai très souvent parlé avec d’autres québécoises et pour lesquelles il est difficile de trouver des explications…

    Publié par Johanne Veilleux | 10 Mai 2013, 15 h 27 min

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  1. Pingback: Impressions haïtiennes: Féminisme, particularismes, universalisme | Détails et dédales - 9 Mai 2013

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