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chronique
Féminisme et relations de genre

Diversité des corps. Uniformité d’image.

Comme si leur beauté et leur sex-appeal déteignaient sur quiconque portait le même sous-vêtement, les mêmes jeans, le même maillot qu’eux, donnant l’illusion d’avoir aussi le même corps, la même allure.
Michel Dorais, La sexualité spectacle, p. 64

Grande nouvelle au cœur de l’été: Vogue fera pour la première fois sa Une avec une mannequin Taille Plus (14 ans et plus). Branle-bas de combat dans les médias sociaux: elle n’est même pas vraiment grosse! En fait, elle ressemble beaucoup à des mannequins que je vois régulièrement dans des catalogues et des sites de magasins spécialisés. J’ai l’habitude. Cette fille appartient à un modèle rare: Taille Plus sans bourrelet. La plupart du temps, les mannequins Tailles Plus portent en fait du 14 ou du 16 ans et sont surtout très grandes. Ce sont des filles qui mesurent sans doute autour de 6’2 », qui ont de bonnes épaules, mais qui sont parfaitement proportionnées.

Elles ne me ressemblent pas. Mais ce n’est même pas ce qui me dérange le plus. À tout prendre, je suis moins inquiète de l’absence de diversité des corps que de l’absence de diversité des images de ce que doit être la « femme ». Et plus on intègre des mannequins de formats différents au monde de la mode, plus je constate qu’elles sont appelées à jouer les mêmes rôles.

On ne sait trop par quel contrat tacite on a décidé quelque part qu’on vendait des sous-vêtements (et des jeans, et du parfum, et que sais-je encore) avec des mises en scène d’érotisme cheap. Résultat: il semble incontournable qu’une annonce de petites culottes présente une fille à moitié étendue, le doigt dans la bouche, regard presque suppliant vers la caméra.

J’ai eu un sursaut en recevant mon catalogue Addition Elle (AE) de l’automne où l’image du centre (ça ne s’invente pas…) présente un triptyque de la même mannequin qui porte les nouveaux modèles de jeans… torse nu. Non, non, on ne voit pas ses seins. Qu’elle soit de face ou de dos, elle les cache, laissant deviner leur générosité (exploitons les quelques fantasmes liés aux Tailles Plus…), regarde l’objectif avec l’œil invitant, la lèvre humide et la bouche ouverte. Même moi je ne serais pas capable de vous dire à quoi ressemblent les jeans…

C’est le cœur du problème et ça nous ramène à la citation de Michel Dorais en exergue. On sait bien qu’en vendant un jeans, ce n’est pas vraiment le jeans qu’on vend, mais l’état d’esprit. Une amie Facebook s’étonnait qu’on utilise autant ce type d’images qui semblent répondre à un fantasme masculin quand c’est en fait l’acheteuse qu’on tente de rejoindre. Justement: cette image est efficace en ce qu’elle s’adresse à une femme qui pense connaître l’imaginaire masculin et qui tente d’y répondre! Cette image nous dit que nous pouvons correspondre à ce que nous croyons être leurs attentes.

Plusieurs femmes veulent, consciemment ou non, ressembler à ça. Ou encore, comme moi, elles le veulent malgré tout. Malgré elles. Malgré leur douloureuse conscience d’avoir leur écran intérieur colonisé par des images dont, rationnellement, elles ne veulent pas vraiment.

Je suis troublée par ce mouvement qui se targue de me présenter des corps différents, mais dans une aberrante uniformité de la féminité. Je dois pourtant admettre que la pub d’AE est très efficace. Derrière mon trouble, le message a fait son chemin. Cette mannequin est ultra sexy, dans l’idée la plus conventionnelle et formatée de ce qu’on considère sexy. Cette pub dit à des filles qui se sont senties différentes toute leur vie qu’elles peuvent être comme les autres: bouche de truite en sus. Qu’elles ont le droit de rentrer dans ce moule-là, malgré leurs kilos. Même les grosses ont accès au « Sois belle et tais-toi! » Consécration!

C’est sans doute une forme d’égalité… Nous reste à faire des pubs qui nous diraient qu’on peut être belle avec une autre attitude et on serait en business. Admettons une pub où une fille aurait l’air de ne pas être en attente pour qu’on lui arrache son dernier bout de linge. Admettons.

Admettons qu’on pourrait vouloir s’habiller dans un autre but que de se faire déshabiller. Admettons…

Discussion

Une réflexion sur “Diversité des corps. Uniformité d’image.

  1. Réflexion intéressante qui me rappelle un gros titre de la page d’accueil de Yahoo cet été qui disait quelque chose comme: « Quel maillot choisir pour lui plaire », et ce n’est qu’un autre exemple parmis une multitude.

    Publié par Caroline | 10 septembre 2012, 14 h 08 min

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