//
chronique
Médias et journalisme

Publicité, journalisme et confusion des genres (un texte sans bouette)

Récapitulons.

Marc Cassivi estime que la nouvelle mouture du Voir ne fait pas de distinction graphique entre les articles et les publireportages et que la direction de l’hebdo tente de berner ses lecteurs. Simon Jodoin répond en reprochant à La Presse une série de mesures qui tendent à confondre la publicité et le journalisme (la promotion croisée entre deux entreprises appartenant à Power Corporation, les publicités dans La Presse +, la promotion de l’IPad, les articles « d’autocongradulation » dans les pages du journal, etc.). Je ne pensais pas intervenir, mais une fois de plus, il semble que nous soyons en train d’éviter un débat important parce que nous sommes trop occupés à nous lancer de la bouette.

Puisque nous marchons sur des oeufs (et sous les volées de bouette) affichons d’abord les conflits d’intérêts potentiels. Marc Cassivi est quelque chose comme un ami. Il arrive que certaines personnes en concluent que je ne critique jamais La Presse. Je ne peux que leur conseiller de s’abonner à mon blogue. Voici pour mon proverbial jupon qui dépasse. Abordons l’essentiel.

Bien qu’imparfait et incomplet, le document sur lequel nous nous basons généralement est le Code de déontologie du Conseil de presse du Québec. Parmi les sujets que le Code aborde très peu, il y a celui de la convergence (pour des raisons pratiques, pour des raisons de respect de la liberté de presse et pour des raisons que je qualifierais de politiques). Parmi les phénomènes très emmerdants de notre vie médiatique, en voici donc un sur lequel la déontologie a très peu de prise. La présence des vedettes de TVA dans une revue appartenant au groupe Québécor Média, par exemple, n’est pas à proprement parler un problème déontologique. L’article que Marc Cassivi a signé sur le livre de Simple Plan publié aux Éditions La Presse en une du Cahier Arts à l’automne dernier pourrait être un autre exemple.

Ce qui m’a surtout frappée au moment de la publication de cet article c’est comment certains lecteurs interprètent tous les articles culturels comme des critiques. Pourtant, rien dans cet article ne relève de la critique. Plusieurs lecteurs ont pourtant interprété ce papier comme une critique positive. J’ai parlé de cet enjeu ici. Je réitère qu’il ne s’agit pas là d’un enjeu déontologique, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas un enjeu important.

Le seul aspect lié à la convergence sur lequel le Code de déontologie a de la poigne, c’est sur la promotion d’un média dans l’espace d’information du même média (la promotion croisée entre différentes entreprises appartenant à un même propriétaire n’est pas concernée). Un exemple récent qui pourrait porter à confusion: le fait que dans sa chronique hebdomadaire sur la visite des lieux culturels dans La Presse +, Stéphane Bellavance soit allé visiter… les bureaux de La Presse. Je n’ai pas étudié le dossier en détail, mais c’est limite. Comme quand TVA ouvre son bulletin de nouvelles avec le gagnant d’une de ses télé-réalités.

L’article de Marc Cassivi sur Simple Plan n’est pas de la promotion de La Presse dans La Presse, et ce n’est pas non plus un publireportage. Le publireportage qualifie un espace vendu à un tiers comme de la publicité, mais dont la présentation reprend les codes du reportage et du journalisme. Ce n’est ni de l’autopromotion, ni un publireportage, mais c’est de la convergence. Simon Jodoin a raison de le comparer à ce que fait le Voir avec le Guide Restos Voir. Et tout cela peut être critiqué.

Mais contrairement à la convergence, le publireportage répond à des normes déontologiques très claires dans le Code du Conseil de presse du Québec. « Non seulement les médias doivent-ils identifier clairement les textes et les émissions publicitaires, mais ils doivent les présenter dans une forme qui les distingue de façon manifeste, par leur mise en page ou leur mise en ondes, des textes et des émissions qui relèvent de l’information journalistique. Cela est d’autant plus important dans le cas des publireportages dans la mesure où ceux-ci empruntent justement les formes de traitement et de présentation de l’information journalistique. » Ainsi, le Code de déontologie est aussi très précis sur le fait que « tout manquement à cet égard est porteur de confusion auprès du public quant à la nature de l’information qu’il croit recevoir. » Aux yeux du Code de déontologie, un média est toujours responsable de ce qu’il rend public y compris de la confusion que cela peut entraîner.

Je ne dis même pas qu’il y a eu manquement au Code dans le cas du dernier numéro du Voir. La présentation des contenus promotionnels en ligne me semble poser problème, mais comme en tout, c’est discutable. Je dis encore moins que La Presse n’a rien à se reprocher. J’aimerais seulement qu’on ait l’honnêteté intellectuelle de faire le débat dans des termes justes et sans mélanger les pommes et les oranges (ce qui ne revient pas à dire que les pommes soient meilleures pour la santé que les oranges.) Ce n’est pas parce que le Code de déontologie en échappe des bouts qu’il faut ridiculiser ce qu’il arrive à baliser. C’est une attitude dangereuse qui remet en question toute possibilité de discuter publiquement, entre nous, du genre de médias dont on rêve.

Je conclurais en disant qu’il faut toujours continuer à préciser les cadres dans lesquels se fait le journalisme, les frontières fragiles qu’il côtoie et les limitations que cela implique. Assumer que tout le monde comprend le travail journalistique est une forme de naïveté utile. Le public n’est pas stupide, mais il n’est pas non plus dans les salles de rédaction (et il ne lit pas le Code avant d’aller au lit).

Discussion

Une réflexion sur “Publicité, journalisme et confusion des genres (un texte sans bouette)

  1. Bonjour Catherine,

    Je crois que nous sommes surtout experts dans l’art de se traîner dans la boue. Nous ne savons pas comment débattre de manière civilisée. Peut-être est-ce du à notre propension à verser dans l’émotif? Je ne sais pas. Et cela se fait pour n’importe quel type de débat: entre gauche et droite, dans la définition des normes journalistique et ses limites. etc. Dans ce dernier cas, Marc Cassivi et Simon Jodoin ont clairement manqué à ce devoir de débattre respectueusement.

    Anders

    Publié par Anders Turgeon | 12 juin 2013, 17 h 29 min

Entrez votre adresse de courriel pour suivre ce blog et être notifié des nouvelles publications.