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chronique
Cinéma, Médias et journalisme, Métier = critique

Métier = Critique / No13 – Helen Faradji

2e34b186bcb511e2b2dc22000a9f14bd_7Formation: Maîtrise en droit et en science politique, Maîtrise et doctorat en cinéma

Fait de la critique depuis… 2002

Titre: Rédactrice en chef du webzine 24 images, chroniqueuse à Médium Large (Première Chaîne), collaboratrice à Ciné TFO, blogueuse pour MSN

Citation: « Le discours critique, c’est aussi ce qui fait vivre les films. Et ce qui les fait vivre non pas comme des produits, mais comme des objets d’art qui ont une importance sociale.»

Passionnée de cinéma, Helen Faradji savait depuis toujours qu’elle voulait devenir critique. Pas étonnant qu’aujourd’hui l’état de la critique la préoccupe autant. Nous nous sommes rencontrées le lendemain du décès de Roger Ebert, quelque temps après le débat sur Spring Breakers de Harmony Korine. Entre l’actualité et ses convictions, Helen Faradji nous partage son regard sur le métier qu’elle choisit d’exercer malgré les obstacles.

Au commencement… 

… il y avait une jeune Française passionnée de cinéma, convaincue de vouloir faire de la critique un métier. Elle entame des études en droit dans l’idée de s’ouvrir les portes d’une école de journalisme et, les choses s’enchaînant, elle poursuit en droit avant de se retrouver en échange étudiant, à l’Université de Montréal, pour faire une maîtrise en science politique. C’est à force de passer tous les jours devant le département de cinéma qu’elle finit par réaliser qu’elle veut mordre à nouveau dans son rêve. D’abord inscrite à la maîtrise, elle complètera un doctorat sur les frères Coen et Quentin Tarantino. Même pendant son détour par le droit, elle pratique la critique dans des structures étudiantes ou communautaires, d’abord à la radio, aussi à l’écrit. C’est finalement au ICI qu’elle entame vraiment sa carrière.

Passion critique

Une des premières choses que me dira Helen, c’est que les qualités pour être un bon critique sont très nombreuses et que peu de gens les possèdent toutes… sauf peut-être François Truffault. Quand je lui souligne qu’elle met la barre bien haute, elle ne s’en cache pas: « C’est un métier que je tiens en très haute estime. »

Formée à l’école française de la cinéphilie, Helen jette un regard comparatif sur la critique telle qu’elle se pratique en France et en Amérique et relève les forces et les faiblesses de chacune des méthodes. S’il y a parfois un abus de sérieux en France, elle reproche aux critiques américains une tendance à sous-estimer l’importance sociale et politique du film. Elle admire pourtant de la critique américaine une plus grande préoccupation du lecteur, un texte qui laisse plus de place au punch. « Aux États-Unis, j’ai l’impression que le mot divertissement ne fait pas peur. Ou, en tout cas, n’est pas une insulte. »

Malgré cela, impossible de ne pas souligner que c’est beaucoup à la critique américaine qu’on doit une simplification graphique du travail critique. Après tout, le grand Roger Ebert, décédé la veille de notre entretien, est le père des thumbs up. Est-ce vraiment une avancée? « Tout ce qui est thumbs up, étoiles et notes, c’est un raccourci – très efficace – qui informe le lecteur de façon immédiate. Sauf que ça n’a pas grand-chose à voir avec l’objet même de la critique. »

Écrire pour le cinéma

L’objet de la critique, pour Helen Faradji, c’est d’essayer de comprendre ce qu’un film raconte sur le monde. « Le critique est là d’abord et avant tout pour essayer de comprendre un film. Pour essayer de lui donner une place dans l’histoire, de lui donner une place dans la société, essayer de comprendre ce qu’il a à dire sur le monde et évaluer la force de ce message-là. » En ce sens, elle s’objecte à toute critique qui s’organise autour du diptyque j’aime / j’aime pas« Il faut dépasser ce niveau-là sinon on ne fait pas de la critique. On fait de l’opinion. On fait le poteau indicateur. Le cinéma est trop important pour lui réserver ce traitement-là. »

Le cinéma, comme un champ d’expertise et comme un tout, revient souvent dans les propos d’Helen Faradji. Elle dira: « Je n’écris pas pour les créateurs. Je n’écris pas pour le public non plus. J’écris pour construire une conception du cinéma. Ce qui compte, c’est le film. » Pour elle, le discours critique sert essentiellement à ouvrir une fenêtre sur le film et à le positionner dans l’édifice cinématographique.

Elle insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’oublier les créateurs, mais de s’assurer que le regard critique porte sur le film et non pas sur le créateur lui-même. « Je ne suis pas là pour caresser les égos de qui que ce soit. Je ne suis pas là pour les détruire non plus. Ce n’est pas que j’oublie le créateur, mais ce que je vois à l’écran, c’est ce qui compte. »

Vie de pigiste

Helen Faradji est pigiste. Comme de nombreux critiques, elle navigue entre les employeurs et les opportunités. J’ai osé lui demander si elle enviait ceux qui travaillent avec un seul employeur. Bien entendu, elle aimerait pouvoir construire une pensée critique au sein d’un même média. Ce qui lui manque surtout, c’est de pouvoir travailler avec une équipe. De pouvoir échanger, construire, débattre, bâtir ensemble un regard sur le cinéma.

Pourtant, elle est bien consciente que sa situation lui permet certains avantages, à commencer par la flexibilité. « J’ai le privilège immense de pouvoir choisir ce dont je parle. Dans les plus grands médias, ils n’ont pas ce choix-là, ils couvrent tout. » Le travail en ligne qu’elle exploite plus particulièrement comme rédactrice en chef de la revue web 24 images, permet aussi une flexibilité importante. 24 images a choisi d’emprunter un format près de l’écrit (avec des chroniques hebdomadaires), mais peut en même temps se permettre de changer le rythme pour un festival par exemple, ou de faire de la place à la vidéo au besoin. C’est un terrain de jeu très stimulant.

Sauf que le problème reste entier: le modèle économique du web n’est pas viable. Si elle démontre beaucoup d’enthousiasme quant au fait que le web permet l’émergence de nouveaux talents critiques, elle s’inquiète dans le même souffle: « Une fois que ce talent existe et qu’il a été repéré, où est-ce qu’il va? Comment il gagne sa vie? » La critique pourra-t-elle être encore un métier à l’avenir? Helen Faradji estime que si elle finit par complètement disparaître, peut-être constaterons-nous enfin le rôle qu’elle remplit. Entre temps, elle fait comme beaucoup de ses collègues et elle accumule les contrats.

Les films et la voix

Parmi ces nombreux rôles, Helen est chroniqueuse à l’émission Medium large le vendredi matin à la Première chaîne de Radio-Canada. La radio, qu’elle considère comme le médium parfait pour parler des films, est son premier amour et elle prend un grand plaisir à travailler avec Georges Privet dans un espace où on leur permet le débat musclé. « C’est sain le débat critique. En confrontant les points de vue, en les mettant face à face, ça nous oblige à avoir des arguments plus forts, à les préciser, à nous faire mieux comprendre. »

Quand nous nous sommes rencontrés, le débat autour du dernier film de Harmony Korine, Spring Breakers, battait son plein et Helen s’en avouait réjouie. « Je ne sais pas ça fait combien de mois, voire d’années, qu’on n’avait pas eu un débat comme ça! » Elle présente ainsi le débat comme un espace qui fouette, qui dépoussière et qui active la vivacité intellectuelle. Comme d’autres, elle constate que cet espace-là existe bien peu dans nos médias.

Elle s’étonne d’ailleurs que Radio-Canada n’ait pas une émission dédiée au cinéma qui pourrait faire une place à l’analyse sérieuse et au débat. Bien qu’elle constate un retour de la chronique cinéma dans plusieurs émissions, elle trouve « anormal qu’on ne puisse pas trouver une petite heure par semaine pour parler de cinéma » dans une époque où notre cinéma est à ce point reconnu à l’étranger.

Encore des rêves

Piloter une émission de radio sur le cinéma, ce serait un de ses rêves. Ou encore, piloter un hebdomadaire. Chose certaine, quand il est question de rêves, la notion d’équipe revient sans cesse dans le discours d’Helen Faradji. Elle veut échanger, débattre, partager.

Pour l’instant, elle maintient le cap malgré les embûches. Le plus difficile, avoue-t-elle, est le manque de reconnaissance de l’industrie (peu d’accès à des entrevues, peu d’invitation dans des festivals, etc.). Le fait de toujours devoir se battre pour voir la qualité de son travail reconnu est parfois lourd, mais ne la freine pas. Pourrait-elle faire autrement? Helen se lève encore le matin en espérant voir le film qui va la bouleverser et changer sa vision du cinéma. «Je suis un peu obsessive avec le cinéma. C’est plus important que bien d’autres choses dans ma vie. »

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Pour suivre Helen Faradji:

Sur le site de 24 images
Sur le site de TFO
Sur son blogue MSN
Le vendredi matin à l’antenne de la Première Chaîne à l’émission Médium Large
Sur Twitter

Métier = Critique était un rendez-vous mensuel avec des artisans de la critique culturelle. Après 12 numéros, la série a pris fin en août 2012. Le numéro 13 est un numéro spécial.

Merci à tous les critiques qui ont accepté de me rencontrer et de partager leur flamme et leurs inquiétudes.

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